
Une fin c’est juste un début dans l’autre sens
Hey audionautes !
Âmes errantes dans les tréfonds du web 2.0 à la recherche de la signification du chiffre 42 en réponse à la grande question sur la vie, l’univers et les reste.
<spoil>Ce texte, un peu long, n’a rien à voir avec le chiffre 42.</spoil>
Depuis la 10ème heure de Tokyo Mentale, j’ai arrêté de publier les playlists de l’émission.
Si des gens trouvaient ça pratique, je leur demande de bien vouloir m’excuser. Ils peuvent toujours me demander ces informations par e.mail, tokyomentale@radio-pulsar.org, ce sera avec plaisir que je leur répondrais.
Je trouve cette routine de publication de la playlist sur la page de l’émission du site web de la radio en mode automatique hebdomadaire assez pauvre finalement. Et une forme de paresse.
Je pense qu’une émission de radio devrait se voir agrémentée de contenus complémentaires un peu plus riches. Comme des articles, des vidéos, des sons et des images. Je pense que je vais aller dans ce sens à partir de maintenant.
“J’ai fait mon émission, j’ai publié la playlist, j’ai fait mon minimum syndical, laissez-moi tranquille !”
Non. Pour moi, la radio c’est autre chose qu’un enchaînement de morceaux et des commentaires entre, agrémentés d’une liste de noms et de références et de sujets sur l’actualité de tel artiste, auteur ou label.
C’est une façon de faire de la radio, peut-être la plus commune, mais ce n’est pas la seule. Il y a plein d’exemples d’émissions marquantes, au niveau générationnel, dans l’histoire de la radiophonie qui ne sont pas calquées sur ce modèle.
Tokyo Mentale est conçue comme un “work in progress”. Sa forme n’est pas définitive et est appelée à changer en fonction de mon humeur et de ma lassitude devant la routine, car présenter toujours la même émission use au final, en tous cas moi ça m’use le moral.
La forme de Tokyo Mentale est aussi tributaire de mes envies d’explorer certaines possibilités liées à mon matériel de production et de diffusion dont la pratique régulière m’ouvre des perspectives nouvelles chaque semaine. Le forgeron devient forgeron en forgeant mais surtout il devient un meilleur forgeron.
Comme je l’ai déjà dit dans une des introductions de l’émission, je suis un flux, l’émission est un flux, la vie est elle-même un flux. Les flux sont comme les liquides et les gaz, ils changent d’états et de formes en permanence.
Ça s’appelle l’adaptation et c’est inhérent à la vie-même.
Et enfin, les possibilités du medium radio qui est le plus ancien moyen de diffusion en temps réel à distance de la parole et des idées humaines, qu’elles soient liées à l’information pure ou à l’art. La radio a été le creuset de nombreuses innovations que l’on retrouve aujourd’hui partout, comme l’utilisation d’effets, le mixage mutipistes et les synthétiseurs.
Les premiers hackeurs technologiques de l’Histoire sont les radio-amateurs. Un hackeur est une personne qui détourne les objets et les technologies pour les améliorer, les adapter à ses usages et trouver des manières amusantes et innovantes, créatives, de les utiliser. Les radio-amateurs, et plus tard, les techniciens radios ont utilisé des technologies à des fins pour lesquelles elles n’étaient pas prévues à la base. Comme en informatique plus tard.
Loin d’être ringarde à l’heure du podcast, du replay et du numérique partout, la radio est un medium très moderne, au contraire, et même toujours en avance sur son temps. Alors que la télévision qui n’est juste que de la radio avec de l’image mais qui demande énormément plus de moyens pour fonctionner est devenue une poubelle de luxe que plus personne ne regarde directement.
La radio ne diffuse que dans un seul sens. Vers l’auditeur. Il n’y a pas d’interaction, ou alors à la marge sous la forme d’appels téléphoniques conventionnels ou via un logiciel de VOIP.
J’aime beaucoup ce manque d’interactivité “by design” qui va à rebours de tout ce qu’on trouve dans les media numériques où tout le monde doit pouvoir donner son avis sur tout partout tout le temps. Cette interactivité sert surtout à engager, l’utilisateur, c’est-à-dire l’immobiliser, le temps de siphonner ses données comportementales qui seront revendues par des data brokers sur une place de marché, à prix d’or, comme une ressource naturelle, puis traitées en lots pour personnaliser la publicité qui s’affiche sur l’écran des smartphones et dans les “apps” des utilisateurs peu ou pas avertis.
Cette interactivité finira par lasser tout le monde, c’est déjà le cas, car elle génère beaucoup de stress vu comment la plupart des débats finissent sur les réseaux sociaux et dans les commentaires des sites web.
Pulsar est une zone de calme. Une bulle de paix. Une zone d’écoute. Littéralement.
La radio fait parti de ma vie depuis l’époque pré-web. J’écoutais alors les stations locales de ma ville, et j’en ai même intégré deux à la fin de la décennie 80. Elles m’ont donné l’opportunité de m’initier au reportage de terrain. Ça m’a permis, en toute autonomie de couvrir le festival des Musiques Métisses à Angoulême. J’ai pu interviewé des groupes, dont un formé exclusivement de femmes joueuses de Taïko, les gros tambours japonais.
Mon premier contact avec des Japonais.es en chair et en os.
Une vraie rencontre qui a donné du sens à mon intérêt pour la culture nippone, nourri jusque-là aux animés et aux séries telles que Shogun, et de pas mal de lieux communs à une époque où les Japonais voyageaient encore peu à l’extérieur de leur pays. Un pays lointain et fantasmé, peuplé de créatures exotiques pour les Français, comme les samurais et les geishas. Des guerriers d’un côté, des prostituées de l’autre…
<anecdote> Je me rappelle du photographe qui accompagnait le groupe de joueuses de Taïko et qui s’était fait voler tout son matériel, car pour faire la queue au fastfood local il avait tout laissé à l’entrée. Plusieurs appareils pros et un gros sac contenant un pied et divers accessoires et objectifs. À Tokyo, on peut laisser ses affaires à l’entrée d’un magasin, sans surveillance, personne n’y touchera. </anecdote>
J’ai monté ces reportages, les ai diffusé à l’antenne et les ai commenté sur feu Quartier Orange, une radio associative libre. J’en garde un souvenir de totale liberté. On m’a fait confiance, on m’a confié du matériel professionnel, on m’a laissé faire, et c’était valorisant.
J’ai retrouvé cet esprit chez Pulsar où l’animateur a carte blanche. On m’a juste suggéré, pas imposé, une introduction parlée pour contextualiser l’émission qui au départ était une ambiance sonore totale. C’est ce qui me donne le plus de mal, je dois l’avouer. Mais je travaille pour m’améliorer, et comme c’est d’abord un travail d’écriture avant d’être un travail vocal, je trouve ça finalement intéressant.
Sur une radio commerciale, dont le modèle économique dépend de la publicité et donc des audiences, ma petite expérience conceptuelle à base de bizarreries de collages triturés aux effets dans tous les sens mélangés à une playlist dont la sélection ne dépend que de mon sens de l’esthétique personnelle sans aucune considération pour l’actualité et la nouveauté, n’aurait jamais été diffusée.
Et puis même, j’aurais eu droit à des obligations déguisée en suggestions, à des évaluations en entretien, pire, en visio-conférence, ce genre de trucs néo-managériale qui prennent du temps et ne servent à rien, à part gonfler l’égo de gens qui se pensent importants, et vide toute tentative artistique de son sens. Dans les radios commerciales, les émissions sont le résultat d’études de marché, du travail d’une équipe marketing et d’une consultation compulsive des chiffres.
L’art est une énergie qui galopent dans la lande comme un cheval fougueux, crinière au vent, sans fer aux sabots. Il est libre, il est naturellement beau, non parce qu’il se soumet aux canons esthétiques du moment, mais parce qu’irradie littéralement de lui cette liberté totale. La liberté, la vraie, pas celle qui consiste à avoir le choix entre des milliers de références dans un supermarché.
C’est un sentiment, une sensation, quelque chose qui atteint le coeur et qui bouleverse l’âme.
Si on n’expérimente pas cette sensation devant ce que le commerce ou l’académisme qualifie d’art, c’est que ça n’en n’est pas. C’est autre chose. Un produit. Un truc pensé et rationalisé pour être vendu au plus grand nombre. Une recette de laboratoire, comme un hamburger de chaîne de fastfood mondialisée où chaque composant est pesé, a une forme et une couleur précise selon une charte précise, un assemblage fait dans un ordre précis et chronométré. Un truc optimisé au gramme près.
Je considère Tokyo Mentale comme une expérience, un moment de ma vie, un de mes nombreux futurs souvenirs. J’y mets ce qui fait que je suis moi. Je ne dis pas que c’est de l’art, je dis juste que c’est libre. Totalement. Et si un jour ce n’est plus le cas, j’arrêterais.
Il n’y a aucune arrière-pensée associée à cette émission. Par arrière-pensée j’entends des velléités de fantasmes de reconnaissance, de notoriété, de tremplin vers quelque chose de plus grand ou de valorisation au travers de ma marque.
Quelle est la cible d’un programme comme Tokyo Mentale ?
Les nippophiles amateurs d’animés, de manga et de Jpop ?
Peut-être que les nippophiles peuvent accrocher à l’émission mais je ne vise personne en particulier.
Un auditeur est un auditeur, une auditrice est une auditrice, un être humain. Ils peuvent passer par-là et trouver ce qu’ils entendent intéressant. Ils repasseront peut-être. Ou pas. Il peuvent être assidus et revenir chaque semaine. Il peuvent aussi être ailleurs et ne trouver aucun intérêt à mon émission. Il sont libres. Cette liberté ne m’enlève rien à moi. Et je vis très bien avec l’idée qu’on puisse ne pas trouver mon émission intéressante.
Tokyo Mentale, c’est une semaine de travail à temps plein, vraiment plein, parce que j’y pense en permanence H24. J’y pense en m’endormant et en me réveillant. Certaines idées ne seront mises en application que quelques semaines après qu’elles aient pris forme dans mon cerveau en surchauffe, le temps que je trouve le moyen et/ou que j’acquiers les compétences nécessaires pour les réaliser.
Mais je tamise beaucoup tout ce qui me vient à l’esprit, pour en faire quelque chose d’aussi simple que possible au final. Beaucoup d’idées sont évacuées ou recyclées sous d’autres formes, ou simplement abandonnées. On peut abandonner les idées, ça ne coûte rien, ça ne pollue pas et ça ne les traumatise pas. Je pratique beaucoup l’abandon des idées et depuis longtemps.
Et puis j’évolue moi aussi. J’apprends – je ne suis pas un animateur professionnel – les techniques pour parler devant un micro, placer et projeter ma voix, essayer de dire des choses intéressantes, du moins que je ne trouve pas consternantes ou plates quand je m’entends les proférer.
Je suis mon premier auditeur. Ce que je fais doit d’abord me plaire. Je suis très critique envers mon travail. Mais je relativise toujours. La radio est une activité humaine avec une tolérance à l’erreur assez importante. On peut être dans l’approximatif, l’essai non transformé, l’hésitation qui se plante, le blanc parce qu’on a fait une mauvaise manipulation, les mots qui accrochent.
Ce n’est pas grave ça fait partie du jeu. Et ça rend le direct intéressant pour cette raison. C’est une performance au même titre que la scène. Sauf qu’on ne voit pas le public et que personne ne peut siffler l’animateur.
Aujourd’hui, parce que tout est streaming, on ne distingue plus ce qui est de l’ordre du fabriqué en boîte et remonté pour en évacuer les moindres défauts et obtenir ainsi un produit commercialement viable, de ce qui est de l’ordre de l’humain, imparfait mais intéressant parce qu’une tentative d’autre chose, quelque chose de vivant. Il y a des personnes de chaque côté du poste et c’est un point commun qui permet de créer un lien.
“Rien n’est impossible tant qu’on n’a pas échoué, et si on échoue, il faut toujours le faire en quête de grandeur”.
J’ai entendu ça dans un film hier au soir, j’ai eu envie de le caser quelque part. Voilà qui est fait. Le film était un biopic pas très intéressant sur l’histoire d’un constructeur de voitures italiennes qui roulent vite.
C’est un peu grandiloquent et ça fait “citation pour les nuls”, mais c’est toujours plus joli qu’un: “qui ne tente rien n’a rien”, qui est une expression fausse.
Ou encore le fameux “no pain no gain”, qui est un slogan bêtement masochiste.
*
Ça m’a fait plaisir de vous parler pour ce dernier jour de l’année 2022, même si vous n’êtes pas là.
À l’année prochaine.
“See you space cowboy…”
みんなさん、明けましておめでとうございます!
Le narrateur.