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Quand j’ai eu l’idée de DNGRNKTS j’ai tout de suite exclue la fréquence hebdomadaire.
La raison principale est que cette émission n’est pas un mix linéaire où on se contente de mélanger les morceaux d’une playlist les uns derrière les autres. Ça demande plus de travail.
Un travail qui a besoin de 14 jours pour être mené à bien.
Voici les étapes de ma méthode de production :
– recherches,
– écoutes,
– sélection,
– éditions,
– sound design,
– jeu live,
– masterisation
Un tiers du temps est consacré à la recherche et à l’écoute. J’utilise Youtube au travers d’un logiciel front end qui me permet de m’affranchir de la publicité, du tracking et de l’algorithme de la plateforme. Ce logiciel c’est Freetube, un logiciel libre et gratuit qui est disponible sur Linux, Windows, Mac Os et Android.
Ça me permet de consulter Youtube de manière anonyme sans compte Google avec la sérendipité comme seule guide. C’est un moyen de trouver beaucoup de choses intéressantes et inattendues contrairement à un algorithme qui enferme l’utilisateur.ice dans ce que la machine croit qu’ielle cherche d’après ses choix précédents et ses intérêts supposés.
Youtube malgré tous ses défauts a des qualités que n’ont pas Spotify ou Deezer comme le fait qu’on y trouve de tout, pas juste des milliard d’heures de singles et d’albums produits par l’industrie du divertissement et des biens culturels. Et surtout, ce qui m’intéresse le plus, beaucoup d’amateurs. Il y a aussi des chaînes de passionnés qui mettent en ligne toutes leurs discothèques rares ou qui mettent en avant des artistes auto-édités que je n’aurais pas trouvé via un algorithme parce que pas référencés, ou sur une plateforme de streaming où tout est régenté par les lois sur la propriété intellectuelle. Je peux aussi utiliser occasionellement Soundcloud et Bandcamp.
La musique ne m’intéresse pas, seul le son m’intéresse. Je veux dire par-là que les groupes, les discographies, la vie des labels, les bios des artistes ne m’intéressent pas. C’est pourquoi je ne chronique pas mes emprunts ni ne publie de tracklistings.
Mais au cas où vous seriez intéressés par les artistes récurrents joués dans DNGRNKTS, voici une liste non exaustive :
Camellia, Lapix, USAO, Awfuless, M2U, EGOIST, Feryquitous, Frums, Silentroom, Hundotte, Kamome Sano, Memodemo, Moi/Iomo, Mysteka, Nayuta, Psyqui, Sasakure.UK, Such, Supire, Takou Inoue, Teddyloid, Telemist, tn-shi, Volta, Xing, YUC’e, Zekk, Yunosuke, Aitsuki Nakuru, Meganeko, Aran, Aura, Blacklolita, et plein d’autres…
Puis vient le temps de la sélection. Je me constitue un « Records Bag » avec tout ce que j’ai retenu. Je rippe le son des vidéos avec un logiciel en ligne de commandes appelé yt-dlp. Mais je peux aussi enregistrer en temps réel au travers de la carte-son de mon pc ou bien sampler avec ma SP404 ce qui a l’inconvénient de prendre plus de temps.
Pour réaliser une émission, il me faut une cinquantaine d’éléments dont pour certains je ne vais utiliser que quelques secondes dans le mix final. En moyenne je mixe un morceau complet toutes les deux minutes, des fois moins, des fois plus. Les versions longues et progressives ce n’est pas pour moi. J’aime l’énergie, j’aime travailler le son en temps-réel, je déteste attendre 8 minutes qu’un morceau soit fini pour mixer le suivant.
C’est la raison pour laquelle je RE:mixe tous les morceaux.
La partie édition représente le second tiers des 14 jours consacrés à la production. Je travaille avec un logiciel d’édition simple, Audacity. Un logiciel libre et gratuit. Je coupe, je colle et mélange les petits bouts obtenus entre eux, réorganisant le morceau original pour renforcer certaines parties, ajouter de l’énergie, enlever ce que je trouve trop commerciale ou faible. Je modifie aussi le son avec ma SP404 et ses effets, et je réinjecte le résultat dans mon RE:mix ou hypercollage. L’artiste qui a composé le morceau que j’utilise était porté par ses propres intérêts et influences esthétiques, les miennes sont forcément différentes, c’est pourquoi j’adapte tout ce que je joue à ma conception du mix.
Un RE:mix n’est pas un remix.
Un RE:mix est une réorganisation du matériel d’origine d’un morceau. Un remix consiste à transformer un morceau dans un genre , souvent Pop pour le faire sonner dans un autre genre, souvent Dance ou Club, en tout cas quelque chose qu’un DJ pourra inclure plus facilement dans son set, même si ça reste commercial et mainstream la plupart du temps. Avec un RE:mix le morceau reste dans sa forme d’origine, simplement son énergie est différente.
Une fois l’étape de l’édition terminée j’assemble tous ces RE:mixes entre eux pour former des segments de 20 minutes qui eux-mêmes seront mis bout à bout pour former le pré-mix final que j’appelle un hypercollage.
Et enfin je joue cet hypercollage au travers de ma SP404 et de ma table de mixage comme un DJ set pour lui donner une sonorité live à l’aide de manipulations en temps-réel.
Dans Audacity je travaille à l’oreille, il n’y a pas de système de quantification comme dans un logiciel de M.A.O comme Ableton live ou Fruity loop. C’est important pour moi qui déteste le côté carré des compositions par ordinateurs. Le fait de jouer l’hypercollage comme un set DJ en manipulant le son en temps-réel me rappelle le turntablism qui m’a amené au DJing il y a 40 ans. J’ai l’habitude de caler les sons à l’oreille et de les lancer à la main.
J’enregistre le résultat de ce travail de DJ sur un Zoom H2 et exporte le fichier obtenu dans Audacity où j’e l’édite une dernière fois avant de masteriser le tout.
À côté de ce travail sur le son il y a aussi le travail d’écriture de mon alias vocal Juli Mo3 que je fais lire par un lecteur d’écran, un logiciel pour personnes malvoyantes. La voix de Juli n’est pas le résultat de l’utilisation d’une I.A.générative, j’ai essayé je n’ai pas aimé ce que j’ai obtenu. La voix du lecteur d’écran est plus proche de ce que je cherchais à faire. Je sample les phrases, en découpe les mots, en change la prosodie, la pronociation de certains mots, rajoute des glitchs jusqu’à obtenir le résultat souhaité. J’ai créé Juli Mo3 car je déteste parler dans un micro. Et aussi parce que je suis fan de Max Headroom.
Je crée aussi des sortes de court-métrages audios à base de mélanges d’ambiances, de dialogues et de scènes puisées dans des films, des animés, des séries et des bande-annonces.
DNGRNKTS est un travail qui me prend 14 jours et 100% de mon temps. J’y pense tout le temps, cherche des idées – j’écris beaucoup sur des carnets, je conceptualise ce que je fais, je cherche des angles, je nourris mon imagination d’une grande quantité de publications écrites, de films, séries, clips, reportages et animés, et je recycle les choses que je trouve intéressantes jusqu’au tout dernier moment quitte à recommencer certaines parties. En général, la masterisation finale se fait 48 heures avant la diffusion de l’émission, au maximum 24 si j’ai pris du retard.
Tout ça me demande aussi beaucoup d’énergie car en plus d’être une personne atteinte d’un trouble du spectre autistique je suis aussi atteint d’un trouble de l’attention avec hyperactivité. Je suis entre la dispersion de l’attention permanente et l’hyperconcentration quand quelque chose me stimule.
Pour que je sois satisfait du résultat, car je suis mon premier auditeur, je dois travailler l’émission dans les moindres détails. Ce n’est pas du perfectionnisme, juste la recherche d’une imperfection satisfaisante.
Le perfectionnisme est le défaut des gens médiocres qui croient que c’est une qualité. L’imperfectionnisme est l’acceptation que la perfection est une chimère engendrée par le productivisme.
Cette émission n’a pas été prévue pour rester indéfiniment à l’antenne de Pulsar, c’est un one shot créatif non marketé. Je suis quelqu’un qui se lasse très vite et que la routine rend neurasthénique. Je ne fais pas carrière, je ne m’installe pas à l’antenne de Pulsar, je ne développe pas une marque. Je ne suis sur aucun réseau social. Il existe un compte Tik tok, je pensais m’amuser à réaliser des pastilles visuelles pour ce medium, mais finalement je n’ai pas le temps. Je vais finir par fermer ce compte.
La fin de l’année universitaire marquera aussi la fin de DNGRNKTS. Alors je cesserai d’y penser et passerai à autre chose.

